Souviens toi (3)(9)
Souviens toi, c'était le jeudi 13 avril 2006.
La veille, tu venais de prendre une décision que tu n'avais pas prise depuis quatre ans et demie. Une décision que tu n'avais pas prise deux ans auparavant. Tu t'étais couchée sereine car il avait accepté le rendez-vous que tu lui avais fixé. Et tu t'es réveillée trois fois ce matin là. A chaque fois, tu repoussais ton réveil d'une demi-heure parce que tu sentais que si tu ne continuais pas à dormir, ton estomac commencerait à se nouer. Au bout du troisième réveil, t'as commencé à tousser. Ca y est, c'était le signal. T'allais tousser pendant une demi-journée.
Souviens toi, après avoir pris ta douche, t'as descendu ton pc dans le séjour parce que tu savais que tu ne réussirais pas à travailler dans ta chambre. Tu n'as pas réussi en bas non plus. Souviens toi que le café, ça n'aide pas. Souviens toi que t'as vu tes colocs descendre successivement, l'un après l'autre. Ils se sont succédé à la place en face de toi pour prendre leur petit déjeuner, c'était marrant, du moins t'as essayé de trouver ça marrant. Souviens toi, tu ne parlais pas beaucoup. Souviens toi, tu toussais beaucoup. Souviens toi, t'avais mal au ventre. Souviens toi, tu ne respirais plus, tu soupirais. Souviens toi, tu te cognais la tête sur la table. Souviens toi, t'as mangé une biscotte en une heure.
Souviens toi, il faisait gris. Souviens toi, t'as allumé la télé pour voir le temps qu'il ferait l'après-midi. Souviens toi, il ferait gris. Souviens toi, il t'a regardée en souriant. Amusé.
Souviens toi, il t'a dit en partant "c'est marrant, on est tous dans le même état dans ces situations là. d'ailleurs je me demande si j'aurais pas été pire".
Souviens toi qu'il était fort pour t'encourager avec des phrases simples.
Souviens toi, ensuite t'as été en tp avec ton autre coloc. Sans estomac. Le coeur affolé. Le ventre tremblant. Les jambes ramollies. T'avais tp à côté de lui. Tu ne savais pas comment te comporter.
Souviens toi que c'est pratique d'avoir un coloc comme binôme.
Souviens toi que c'est pratique quand le binôme est au courant.
Souviens toi que vous êtes arrivés en avance, et qu'il est arrivé au moment où tu t'es levée pour chercher une feuille à l'imprimante.
Souviens toi que vous vous êtes fait la bise sans rien dire.
Souviens toi que tu l'avais trouvé froid.
Souviens toi qu'il avait gardé sa place à côté de toi.
Souviens toi qu'il n'a pas parlé pendant une demi-heure.
Souviens toi que quand on ravale son stress, ça fait mal au ventre.
Ou à l'estomac quand il est là.
Quand il est là et qu'il est vide parce que tu ne manges plus.
Le stress rebondit sur les parois du vide.
Souviens toi encore que c'est pratique quand le binôme est au courant.
Souviens toi que son bras est toujours là pour que tu le meurtrisses.
Souviens toi les grimaces que tu lui faisais à chaque rebond du stress.
Souviens toi les sourires d'encouragement qu'il te rendait.
Dieu qu'il était fort.
Dieu que t'as remercié le ciel qu'il ait été là.
Souviens toi qu'après une demi-heure, il t'a parlé.
Une banalité.
Il voulait que le cours se fasse en anglais.
Souviens toi les deux-trois banalités que vous avez échangées.
Souviens toi quand il a pris sa pause avec son binôme et qu'il est sorti.
Souviens toi, t'as dit à ton binôme/coloc/ami que tu ne pourrais pas le faire.
Souviens toi la veille tu t'étais couchée sereine.
Tu n'avais pas encore réalisé.
En te retrouvant face à lui, tu t'étais rendue compte que c'était bien plus dur dans la réalité que dans ton imagination.
Souviens toi que t'as passé le reste du cours à faire non de la tête, à avoir mal au ventre, à faire des grimaces.
Souviens toi qu'en partant, il t'a dit "bonne journée".
Bonne journée?!
Souviens toi que ton binôme/coloc/ami t'a rassurée, c'était normal il était avec son binôme/ami, il n'allait pas dire "à cet après-midi".
Souviens toi qu'en rentrant chez vous, ton binôme/coloc/ami t'a donné le verdict.
Il n'était pas froid, il était tendu.
Souviens toi que si t'avais eu un pouvoir sur le temps, tu l'aurais reculé.
Ou avancé.
Mais tu ne pouvais plus rester là, attendre.
Pourtant t'as attendu. T'as attendu une heure décente pour prétendre être en pause.
Souviens toi ce que t'as fait pendant trois heures. Rien, c'est pas dur.
Souviens toi qu'au bout d'une demi-heure pratiquement tous tes colocs étaient partis en cours, il ne restait plus que ton binôme.
Souviens toi tu t'es allongée sur le dossier du divan et il s'est allongé à côté de toi sur le divan.
Il révisait son cours, une main sur ton bras pour calmer tes tremblements.
Souviens toi le texto que t'as reçu après.
Il te parlait du mauvais temps et de la balade qui n'allait pas être gaie.
Souviens toi comme t'as stressé.
Souviens toi comme t'as eu peur.
Non pas si près du but.
Il n'allait pas annuler.
Tu devais trouver une parade.
Quelquechose de percutant, qu'il ne puisse pas refuser.
Tu lui as répondu que ce serait d'autant plus intime.
Il n'a pas pu refuser.
T'as recommencé à respirer.
Après coup, quand t'y as repensé beaucoup plus tard, il voulait peut-être tout simplement te rappeler que vous deviez vous voir.
Souviens toi quand ton dernier coloc est parti en cours.
Souviens toi cette heure horrible à tourner dans la maison.
Souviens toi cette vaisselle que tu n'as même pas réussi à faire.
Dis je tousse encore maintenant, en me remémorant tout ça.
Souviens toi, tu savais qu'avec le stress, tu ne ferais rien de bon.
Souviens toi, t'as pris une petite gorgée de rhum pour te calmer.
Souviens toi qu'après tu n'étais plus très lucide.
Mais souviens toi que t'étais plus détendue.
Souviens toi qu'en attendant de retrouver tes esprits, tu l'as appelée.
Souviens toi qu'elle t'a demandé si t'étais sûre de ce que tu faisais.
Souviens toi que tu l'as rassurée, que c'était bien ce que tu voulais.
Souviens toi que d'un coup, rien ne te semblait plus inaccessible.
Souviens toi qu'il était 15h10 quand t'as écrit le texto.
Souviens toi qu'il était 15h15 quand t'as envoyé le texto.
Souviens toi que tu l'as écrit en anglais parce que tu ne savais plus rien dire en français.
Souviens toi qu'il était 15h17 quand t'as reçu sa réponse.
Souviens toi qu'il était 15h21 quand t'as écrit à tes colocs.
Souviens toi que c'était à 15h40 que vous deviez vous voir.
Souviens toi que t'étais pile à l'heure.
Souviens toi qu'il avait cinq minutes de retard.
Souviens toi qu'en attendant t'écrivais à ta coloc.
Souviens toi que tu l'as vu arriver de loin et que tu l'as dit dans ton texto.
Ton estomac allait se déchirer tant il se nouait.
Le sol allait se dérober sous tes pieds tant t'avais perdu tes forces.
Souviens toi, t'avais tellement peur qu'il vienne avec son frère, son ami, elle, les trois.
Souviens toi, il est venu seul.
Souviens toi, t'avais prévu une banalité évidemment.
Que ce n'était pas facile d'écrire un texto en anglais avec le mode T9.
Souviens toi, il avait prévu une banalité également.
Je ne me souviens même plus ce que c'était.
Vous avez rigolé.
Ouf ça allait mieux.
Vous vous êtes promenés dans les allées du parc.
Il n'y avait personne, ou très peu de gens.
Souviens toi de cette allée là, entre le parc et la forêt.
T'étais tellement concentrée sur ce que t'allais faire, sur comment t'allais le faire, que tu n'as pas regardé autour de toi.
Il t'a dit "regarde, ils sont trop mignons".
Tu t'es retournée et t'as vu une femme de dos qui poussait une grande poussette.
Il a continué "des jumeaux...".
Souviens toi, t'as souri.
Bien-sûr, c'était une référence à vos délires.
Bien-sûr, il n'avait pas oublié.
Ce n'était pas parce qu'il avait arrêté qu'il avait oublié.
Vous avez parlé de tout et de rien en vous promenant. De vos projets qui n'avançaient pas, de vos plans pour la semaine de vacances, de vos départs à l'étranger, de vos anecdotes sur l'administration, du week-end où t'as attendu de savoir ce que le service des départs te voulait, tu lui as dit comme parfois c'était long d'attendre un week-end... si t'avais su...
Tu lui as proposé que vous vous asseyiez.
Ce serait trop dur en marchant.
Vous avez continué à parler, à vous taire, à parler, à vous taire.
T'étais si bien avec lui.
Vous vous étiez réconciliés en quelque sorte.
A ce moment là, tu n'avais plus le courage de rien faire.
Vous étiez si bien que tu avais quelquechose à perdre.
Avant cette heure ci, tu pensais que tu n'avais plus rien à perdre.
Mais là, tu ne voulais plus agir.
Tu voulais en rester là.
Passer un bon moment avec lui, juste ça.
S'il n'y avait pas eu tes colocs qui t'encourageaient par la pensée pendant leur cours, t'en serais peut-être restée là.
Ils avaient passé tellement de temps à t'écouter.
Ils t'avaient tant soutenue, tant encouragée.
Ils ne t'ont pas jugée une seule seconde, même en sachant qu'officiellement t'étais encore avec ton copain.
Tu ne voulais pas les decevoir.
A ce moment là, tu l'as plus fait pour eux que pour toi.
Il y a eu plusieurs silences.
T'aurais pu le faire plusieurs fois.
Mais t'as bloqué.
Ca faisait drôlement longtemps que tu ne t'étais pas retrouvée dans cette situation.
Plus de cinq ans.
Dieu que t'avais oublié comme c'était dur.
Dur de se lancer quand t'étais en face de la personne.
Même en y repensant, je me souviens que c'était dur, mais aussi fidèles soient-ils, ce ne sera jamais aussi dur dans mes souvenirs qu'à l'instant où t'étais assise sur ce banc.
Après plus d'une heure de banalités, il t'a dit qu'il devait y aller.
Que sa mère était venue lui rendre visite.
T'as alors répondu quelquechose que t'as regretté tout de suite après: t'as raison, rentre si ta mère est là.
Mais Dieu merci, ce mec était extraordinaire: je suis pas pressé non plus.
La chance était avec toi.
Silence.
Silence.
Un silence de plus et il allait partir.
"Bon."
T'as dit.
"Bon..."
T'as redit.
Et Dieu seul sait comment, t'as bloqué ta réflexion. T'as arrêté de réfléchir. De penser aux conséquences. De sentir sa présence. De te dire que c'était dur quand il était en face de toi. De te dire que c'était plus simple quand tu ne faisais qu'y penser dans ta chambre. Quand il n'était pas encore temps d'agir. Des coups qu'allait prendre votre amitié. Des coups que tu te prendrais s'il était réticent. Des coups que tu te prendrais s'il était consentant.
T'as arrêté de te poser des questions.
Ca faisait dix heures que t'essayais de le faire vainement.
Dieu seul sait par quel miracle t'as réussi à le faire, quelle force t'a aidée à le faire, à cette seconde précise, assise sur ce banc, dans ce parc, avec lui à cinquante centimètres de toi.
"Bon... si je t'ai fait venir c'était pour te parler de quelquechose."
Silence.
Arrête de réfléchir.
Ne le regarde pas.
Si, regarde le.
Il te regarde.
Aucune expression ne le trahit.
Il te regarde c'est tout.
Tu te tais.
Arrête de te taire.
"C'est pas facile...".
Il te regarde toujours.
Qu'il est beau...
"Bon..."
"Voilà..."
Tu le regardes.
Il te regarde toujours.
Différemment.
Il commence à comprendre que c'est important.
Son regard a légèrement changé.
Il n'a jamais été très expressif.
T'as juste perçu un changement léger.
Il était inquiet.
Parle.
T'as commencé, tu ne peux plus reculer.
"Me regarde pas comme ça, tu me fais peur..."
T'as dit.
"C'est toi qui me fais peur..."
Il a dit.
Cette fois t'as bien perçu que son regard avait changé.
Plus grand.
Plus inquiet.
Qu'il était mignon... Que t'aurais aimé le prendre dans tes bras...
Et là tu lui as dit. Que vos délires avaient eu des conséquences peu anodines sur tes sentiments.
Il t'a demandé ce que ça signifiait.
Pardi, tu savais très bien ce que ça signifiait! pourquoi a t-on toujours besoin d'être rassuré sur nos intuitions?
Tu lui as dit que... ça te faisait quelquechose.
Que t'y pensais depuis un bout de temps.
Que tu n'arrêtais plus.
Que tu ne pouvais plus rien faire.
Que ça te rongeait.
Que ça te bouffait.
Tes phrases étaient décousues.
Il ne te regardait plus.
Il regardait devant lui, avec son grand regard, son air impassible, son visage sans expression.
Tu savais qu'il était comme ça.
Que moins il se montrait expressif, et plus il réfléchissait.
Qu'il était beau...
Silence.
"Putain j'suis nulle"
"Ca veut rien dire ce que j'ai dit"
"J'suis trop nulle"
"Non t'es pas nulle..."
"Si..."
"C'est pas facile..."
"Je sais..."
Silence.
Silence.
Tu le regardais maintenant.
Tu lui as dit que t'étais désolée, que tu ne pouvais plus garder ça pour toi, que t'en étais arrivée à un point où il fallait que tu lui dises, que t'y pensais trop.
Que ça te torturait.
Il t'a regardée.
"A ce point..."
T'as hoché la tête.
Silence.
Il n'y avait personne autour de vous, vous étiez à l'entrée de la forêt et il faisait gris, le temps n'était pas propice aux balades.
Silence.
Silence.
Pesant.
Tu le regardais. Tu regardais devant toi.
Tu le regardais. Tu regardais tes pieds.
Silence.
T'as serré tes genoux contre ta poitrine.
Silence.
Puis t'as relevé la tête.
"Dis quelquechose s'il te plait..."
Tu chuchotais.
Silence.
"Je réfléchis..."
Il chuchotait.
Silence.
Tu l'as regardé.
"Te prends pas la tête avec ça... Je t'ai dit ça parce que je ne pouvais plus le garder pour moi. J'avais juste besoin de le dire. Te torture pas à ton tour avec ça. C'est pas grave... Ca changera rien... Les conséquences seront ce qu'elles sont... mais te prends pas la tête..."
Tu chuchotais toujours.
Silence.
Tu ne le pensais pas.
Tu voulais qu'il se passe quelquechose.
Tu voulais qu'il y réfléchisse.
Mais tu ne voulais pas le perturber.
Tu ne voulais pas le tracasser.
Tu ne voulais pas qu'il se prenne la tête.
Tu ne voulais pas qu'il se fasse du mal.
Tu ne le pensais pas.
"Ca fait combien de temps?"
Il a chuchoté.
Silence.
T'aurais voulu lui dire.
Un an et demie, pourquoi?
T'aurais voulu lui dire que depuis que tu le connaissais, il te faisait de l'effet.
Que dès la première fois, t'avais réagi.
Qu'il y a eu un épisode malheureux en mai 2003.
Que depuis tu refoulais inconsciemment tes sentiments.
Que tu n'avais jamais vraiment réalisé.
Que tu pensais que c'était juste une amitié très forte.
Beaucoup d'affection.
De tendresse.
Que quand il était là, ton coeur rayonnait.
Que quand vous ne parliez plus, le monde s'écroulait.
Que ça avait toujours été lui.
Qu'il t'a juste fallu du temps pour laisser tes sentiments émerger.
"Un bout de temps"
T'as juste répondu.
Silence.
Tu l'as regardé, tout calme, tout perturbé.
Il était attendrissant.
T'as souri.
"Allez, dis quelquechose..."
"Je réfléchis..."
Il a légèrement souri.
Tu l'as secoué.
"Nan, parle, j'en peux plus là!"
Il a rigolé.
Silence.
"C'est pas facile..."
T'as chuchoté.
"Je sais..."
"Alors dis quelquechose..."
Il a rigolé.
Il était plus détendu.
Toujours perturbé.
Mais moins tendu.
Et là... il a parlé.
Dieu...
Qu'il...
Aurait...
Du...
Se...
TAIRE!
Il chuchotait.
"Moi aussi, j'ai eu des sentiments pour toi"
Je sais, mes colocs me l'ont dit hier.
"Récemment..."
Silence.
"Mais ça s'est un peu calmé"
Silence.
"Moi aussi ça m'a travaillé..."
"Je ne savais plus..."
"J'y pensais aussi..."
"Comme toi..."
"A nous deux..."
Silence.
Silence.
"En fait je pensais..."
"Je sais pas, t'en parles pas souvent..."
"Mais t'avais un copain..."
"Loin..."
T'as soupiré.
"Loin..."
Il a répété.
"Ah d'accord... Loin..."
T'as répondu.
"Mais ça fait un bout de temps que ça ne va plus"
Depuis que je t'ai rencontré.
Silence.
Silence.
"C'était récent... Ces sentiments..."
Il a dit.
Silence.
"Je crois que c'était au même moment..."
T'as dit.
Silence.
Il a hoché la tête.
Silence.
"C'est con..."
T'as dit.
Silence.
Pas de réaction.
Silence.
"C'est con..."
Il a dit.
Silence.
Silence.
Silence.
Silence.
Silence.
...
"Allez... c'est pas grave..."
T'as dit.
"Je t'aime bien quand même"
T'as souri.
Il a souri.
"Moi aussi je t'aime bien"
Il ne te regardait pas.
"Tu restes mon petit [surnom]"
Il a rigolé.
Dieu qu'il était beau...
Dieu qu'il était beau...
Dieu qu'il était beau...
Il a arrêté de parler.
Toi aussi.
Il regardait devant lui.
Toujours sans expression.
Le regard loin. Profond.
Il était perturbé.
Tu l'avais perturbé.
Il ne s'en foutait pas.
Il y pensait.
Il réfléchissait.
Vous êtes restés presque une minute comme ça.
Le silence te pesait.
Ton coeur battait à tout rompre.
Les arbres tournaient autour de toi.
T'as à nouveau enfoui ta tête dans tes genoux.
"Faut que j'arrête de trembler maintenant..."
Silence.
"Donne ta main..."
T'as relevé la tête.
Il te regardait. Il te tendait sa main.
T'as posé la tienne dessus.
Et il l'a serrée dans la sienne.
Très fort.
T'en frémissais.
T'aurais voulu lui dire.
T'aurais peut-être dû.
Ne me prends pas la main comme ça.
Tu ne l'as pas fait.
Et si tu l'avais fait?
Il aurait compris?
L'effet qu'il te faisait?
Tu ne l'as pas fait.
Tu t'es contentée d'attendre une dizaine de secondes, et de retirer ta main.
Il t'a regardée.
T'as baissé les yeux.
Il a baissé les yeux.
Silence.
Silence.
Silence.
C'était fini.
Tu lui avais dit.
T'avais soulagé ton coeur.
T'allais pouvoir rentrer.
Travailler.
Arrêter d'y penser tous les matins, tous les soirs, toutes les secondes.
C'était ce que tu voulais.
Lui dire.
Tu t'es dit que tu n'attendais rien.
C'était vrai.
T'étais partie dans l'optique de lui dire, juste de lui dire.
Tu ne voulais pas le troubler.
Pas le forcer.
T'avais juste besoin de soulager ton coeur d'une passion secrète d'un an et demie.
Tu n'as pas imaginé une seule seconde être triste si ça ne marchait pas.
Et ça n'avait pas marché.
Tu n'étais pas triste.
Juste soulagée.
C'était fini.
Vous pouviez y aller.
...
"T'as bien fait de me le dire..."
T'as levé la tête.
Tu l'as regardé.
"Surtout avant les vacances"
Cette fois, c'était toi qui était inquiète.
"Ca laisse le temps d'y repenser..."
"D'y réfléchir..."
Cette fois, c'était toi dont le regard trahissait.
Un regard plus grand.
Inquiet.
Effrayé.
Non...
Non...
Ne fais pas ça...
Ne me donne pas d'espoir...
Ne me donne pas d'espoir...
Ne fais surtout pas ça...
Pourquoi t'as fait ça...
Je n'attendais plus rien...
Je n'espérais plus rien...
Pourquoi t'as fait ça...
Il t'a regardée.
Il t'a sourie.
Tu t'es forcée... tu lui as souri... tendue.
Et il t'a dit:
"Tu m'as donné du stress en plus pour les vacances!"
Silence.
Dieu qu'il était beau...
"On y va?"
"On y va"
T'as répondu.
Souviens toi, vous avez peu parlé dans l'allée pour sortir du parc.
Il était toujours aussi calme, impassible.
T'as essayé de le secouer.
Tu l'as supplié de parler.
T'étais perturbée aussi.
Mais il le fallait.
Il a rigolé.
Tu l'as taquiné.
T'as compris à ce moment là que ça n'aurait pas d'impact sur votre amitié de ton côté.
Tes colocs te l'avaient expliqué la veille: tu n'avais rien à perdre parce que si ça se passait mal, c'était toi qui couperais les ponts, pas lui.
Ils avaient raison, ces bougres.
T'as compris à ce moment là que tu ne couperais pas les ponts.
Que ça resterait ton ami.
Il a été ton ami pendant un an et demie, quoi qu'en ait pensé ton coeur.
Il le resterait.
T'as remercié Dieu de ne t'avoir donné qu'une toute petite fierté.
T'as remercié Dieu d'avoir sauvé votre amitié.
Vous avez réussi à échanger quelques banalités.
Vous avez réussi à parler d'autre chose sur la fin du chemin.
Il a même voulu t'inciter à faire ta rebelle en empruntant un chemin barré.
Puis vous êtes quittés à l'entrée du parc.
Sur le chemin du retour, tes pensées sont parties dans tous les sens.
T'étais contente.
T'étais fière de toi.
T'étais déçue.
Mais t'étais fière de toi.
T'as emprunté les petites rues.
Tu voulais être au calme.
Au bout du chemin le ciel s'est assombri.
Tu ne voulais pas rentrer.
Personne n'était rentré, encore.
Tu ne voulais pas rester seule.
Tu t'es assise sur un banc, dans le petit jardin devant chez toi.
Tu l'as appelée.
Tu lui as raconté.
Bien-sûr que t'étais plus déçue que contente.
Tu t'en es rendue compte en t'entendant parler.
T'as essayé de le cacher.
A toi avant tout.
Ca va.
Je t'assure ça va.
Tu le savais.
T'étais déçue.
T'avais plusieurs raisons d'être contente.
Il avait bien réagi, il ne s'en foutait pas, il avait eu des sentiments pour toi, t'avais réussi à lui dire, t'avais réussi à sauver votre complicité, et il avait l'air d'être encore plus proche de toi.
T'avais une seule raison d'être déçue.
Le coeur ne connait pas la démocratie.
Puis pendant que tu lui racontais, à elle, il a plu.
Légèrement.
T'as souri.
Après avoir raccroché, tu lui as envoyé un texto.
A lui.
"T'avais raison, il pleut"
Il t'a répondue un peu après.
"C'est marrant, pas chez moi. Le temps est aussi flou que mon esprit..."
Non, il ne s'en foutait pas.
Finalement ça allait mieux.
T'es rentrée chez toi, moins triste.
Et t'as attendu.
Attendu.
Attendu.
Comme le week-end dernier, quand t'as reçu le mail du service des départs.
Mais cette fois-ci, le week-end durait dix jours.